Lors d'une conférence-débat sur le CSE organisée par Sextant, experts et avocat ont délivré aux élus et délégués présents leurs conseils pour bien appréhender les négociations sur l'instance unique. Et Bernard Bosc, coordinateur CFDT du groupe Axa, a raconté son expérience, édifiante.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
"Identifier les bonnes idées qu'ont déjà pu faire valoir les négociateurs syndicaux dans les premiers accords sur le comité social et économique (CSE) et vous apporter des conseils au vu de notre expérience d'accompagnement des équipes depuis un an" : c'était l'objet de la matinée organisée le mardi 20 septembre par Sextant à Paris. Les thèmes les plus souvent traités par les accords sont les heures de délégation, les commissions du CSE et du CSE central, le point suscitant "le plus d'innovation" étant "le dialogue de proximité", selon Christian Pellet.
Le président de Sextant a regretté que l'attractivité des mandats ne soit pas davantage abordée : "Les ordonnances vous transfèrent des responsabilités fortes avec des accords collectifs qui s'imposeront au contrat de travail, ce dont les salariés n'ont pas encore conscience". Sous-entendu : susciter des candidatures sera d'autant plus délicat que les mandats à pourvoir ne seront pas dotés de moyens suffisants pour maîtriser tous ces enjeux. En même temps, a souri Christian Pellet, "on voit parfois que les avancées sur les mandats -il faut bien négocier des équilibres- se font au prix de contreparties comme la réduction du nombre de consultations récurrentes et/ou le recours aux expert".

Après le temps de la contestation des ordonnances sur le CSE, "qui est mort", après le temps de la digestion, "qui est mort aussi", après le temps de la formation, "qui est presque mort", vous devez maintenant aborder "le temps de l'action". Il n'est pas faux de dire "c'était mieux avant" mais voilà, c'est fini", a lancé aux élus l'avocat Roger Koskas. Les représentants syndicaux et du personnel doivent donc s'inscrire dans ce nouveau cadre, même si, a-t-il ironisé, "ce cadre est pensé pour le XXIIe siècle avec un patronat qui est parfois resté au XVIIIe !". Comment caractériser ce cadre ? "On ne vous demande plus seulement de négocier au nom de vos mandants, les salariés, mais aussi dans l'intérêt social de l'entreprise, et c'est un grand changement, souligne l'avocat, le législateur cherchant aussi à faire émerger dans l'entreprise un acteur majoritaire capable de négocier des accords".
Pour Roger Koskas, les trois pieds d'une négociation sur le CSE sont l'accord de périmètre, l'accord sur le droit syndical et "le petit pied" du protocole d'accord pré-électoral (PAP). Pourquoi "petit pied" ? Même si juridiquement vous pouvez discuter des heures de délégation dans le PAP, "si vous n'abordez la question des moyens du CSE qu'au moment du protocle, vous êtes mal car tout doit se jouer avant". Ses conseils pour négocier commencent par l'établissement d'un bilan de l'existant, sans concession : "Faites un tableau avec le nombre d'élus, les heures, etc. Mais soyez critiques vis-à-vis de vous-mêmes : avez-vous manqué d'heures de délégation dans tel endroit pour bien représenter les salariés ?"
C'est une fois ce bilan réalisé que vous pourrez réfléchir à la question essentielle préalable à toute négo : "Comment éviter l'embolie du CSE?" Autrement dit : que faire pour éviter la création d'une instance ingérable ? Face à un employeur qui souhaitera souvent réduire le nombre d'établissement, revendiquez d'abord un maillage territorial qui permette une représentation de tous les salariés, "afin d'éviter le syndrome Gilets Jaunes, c'est à dire l'absence de corps intermédiaires capables de gérer la contestation en lui donnant des débouchés", dit l'avocat.
En pratique, les négociateurs pourront s'appuyer sur l'article L. 2313-4 du code du travail issu des ordonnances. En effet, selon cet article, c'est l'employeur qui fixe, en l'absence d'accord, le nombre et la périmètre des établissements distincts, "compte-tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel". Pour Roger Koskas, cette référence à la vocation sociale de l'établissement doit inciter les élus à revendiquer la création d'établissements distincts : "Comme le CSE central va déposséder de tout rôle économique le CSE d'établissement, ce dernier a vocation à traiter les questions de santé et de sécurité, sans bien sûr oublier les questions DP et la délivrance des activités sociales et culturelles", plaide l'avocat.

Le maillage suppose aussi des représentants de proximité (RP). "En aurez-vous besoin ? J'ai tendance à répondre systématiquement oui, d'autant que les RP n'ont pas la limitation de trois mandats successifs imposée aux autres élus, et qu'ils représentent aussi des heures de délégation utiles. Surtout, ils peuvent vous apporter la garantie d'une présence sur le terrain, y compris pour la distribution d'ASC", argumente l'avocat.
Dans la négociation, ajoute Roger Koskas, ne négligez pas les commissions du CSE, car vous pourrez y créer des heures de délégation supplémentaires "pour ceux qui travaillent vraiment et pour permettre aux suppléants d'exercer des missions dans ces commissions". Mais ne vous trompez pas sur la commission santé, sécurité, conditions de travail (CSSCT) : "Cela ne reste qu'une commission, elle fait un travail préparatoire pour le CSE, mais elle n'est pas consultée directement ni ne peut décider d'expertise", souligne l'avocat selon lequel il faut toutefois envisager d'y associer les représentants du personnel. Enfin, Roger Koskas suggère aux élus de bien prévoir dans la négociation d'acter des réunions préparatoires et leur conseille enfin, pour écarter tout vide juridique ou toute interprétation différente ultérieure, de mentionner dans l'accord une phrase disant que les points non traités par le texte de l'accord relèvent des dispositions du code du travail.
En pratique, la pression de l'entreprise peut être forte en faveur d'une totale remise à plat des IRP, comme chez Axa. "La direction avait une de ces bananes après les ordonnances ! On a eu droit à l'exposé d'un avocat patronal nous vantant la liberté permise par les ordonnances, puis à un mois et demi de concertation avec la même idée de souplesse et d'agilité. Et quand on a entamé la négociation, la direction d'Axa, une entreprise qui compte quand même 12 000 salariés et qui avait jusqu'à présent 1 CCE, 9 CE et 25 CHSCT nous a proposé un seul CSE sur tout le territoire. On a calculé : ça faisait 90% de moyens en moins. Mais la direction entendait nous flatter en nous disant que les élus CSE seraient, en quelque sorte, les rois du pétrole car nous serions au contact régulier de la haute direction", raconte non sans malice Bernard Bosc, responsable syndical CFDT d'Axa (voir aussi son interview vidéo ci-dessus).

Une intersyndicale s'est constituée pour engager un rapport de forces avec l'employeur. Les syndicats ont alerté la presse spécialisée dans le monde de la banque et de l'assurance, et la CFDT a même fait intervenir publiquement Laurent Berger, son secrétaire général, pour faire pencher la balance sur le thème : "Même une entreprise réputée socialement comme Axa ne veut pas négocier réellement..." Une attaque sur l'image qui a porté ses fruits. "Ils ont eu peur quand ils ont quand même besoin de nous pour signer des accords", résume Bernard Bosc. La négociation a permis de faire descendre la baisse des moyens avant/après à 50%, au lieu de 90%, avec 4 CSE, 1 CSE central et 120 représentants de proximité répartis dans 12 bassins (*). L'accord a acté certaines avancées : "Par exemple, nous avons spécifié que les réunions des RP dans chaque bassin suivraient un ordre du jour établi après un échange avec un RP désigné comme représentant de l'instance territoriale, afin que l'employeur n'ait pas seul la main sur les sujets à aborder".
Mais les syndicats n'ont pu revenir sur certains points. Ainsi, sous les 100 salariés, les RP devront examiner avec la direction locale "les aspects liés à la santé, la sécurité et les conditions de travail des projets d'évolution, d'implantation et/ou de logistique des sites du périmètre territorial de l'instance", selon le texte de l'accord (**). "Dans ces sites, pour ce type de projet, nous ne pourrons plus être consultés ni lancer d'expertise. Ce n'est pas un point satisfaisant. Mais la direction voulait remonter ça jusqu'à 300 salariés. Nous avons refusé", explique le délégué CFDT qui explique qu'une entreprise de la taille d'Axa gère tous les jours déménagements et réorganisations du travail. Et ce dernier de mettre en garde les élus sur un point peu abordé : "Comment gérer les activités sociales et culturelles avec 50% de moyens humains en moins ? Nous serons vigilants pour garder notre autonomie de gestion, mais on voit bien que cela intéressait l'entreprise de récupérer ça..."
(*) Lire ici L'accord d'Axa traitant du CSE (14/6/2018)
(**) Sauf lorsqu'un projet important d'aménagement des espaces de travail est soumis à la consultation d'un CSE d'établissement : dans ce cas, les RP sont réunis pour instruire le projet et formuler des recommandations, à partir desquelles le CSE rendra son avis. Mais "les autres projets concernant les espaces de travail font l'objet d'une instruction des RP territorialement compétents et d'une simple information du CSE ou du CSE central".
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